samedi

Rectangle blanc sous influence



Face à sa feuille blanche, l'écrivain se torture, brave ses émotions, harcèle son espoir, pour donner à sa main l'élan libérateur qui fera d'une ligne, d'une phrase ou d'un vers, une oeuvre personnelle, spontanée ou mûrie, destinée au lecteur, à l'autre ou l'être aimé.
Devant sa toile blanche, assis au chevalet, mesurant le sujet, évaluant à son rythme les formes et couleurs, ou stylisant soudain quelque idée incongrue, le peintre le rejoint, pour un apport idem.
Et la matière vierge qui retient le sculpteur provoque sans conteste les mêmes vibrations. Impuissant ou fébrile, avant tout premier coup, il sait qu'il jouera là un moment de sa vie, qu'il donnera à voir un peu de son humeur ou de ses joies cachées.
Nul ne contestera qu'ils sont d'un même monde, même si modes et temps les jugent misérables, ou génies séculaires, selon le bon vouloir de critères inconnus.
En serait-il tout autre pour celui qui, un jour, négligeant le pinceau, la plume ou le marteau, outils aux formes simples, préfère se cacher, comme dit le profane, derrière un appareil qui soit-disant fait tout, pour être photographe. Suivre ce raisonnement ferait fi d'un état qui mérite attention. Et vaut explication.
Dans l'esprit de beaucoup, la photo n'a qu'un but: geler en souvenir un moment important, conserver le plaisant pour les années futures, ou servir de témoin pour d'étranges redites.
Voilà qui est bien mince, et plutôt réducteur.
Dans un monde d'images, animées ou figées, l'illusion est facile.
Mais si le photographe joue de la lumière pour éclairer l'instant, il peut en un regard devenir créateur, rechercher le parfait, magnifier le banal, ou révéler l'idée qu'il déniche un beau jour dans une ombre insolente. Sa démarche est multiple, et se veut insatiable. On ne peut bien montrer que si l'on comprend bien, que si l'on perçoit juste. La technique est bien fade si le regard est terne, oui si l'esprit sommeille, quand l'image apparaît.
Comme pour le fusain, la plume ou le burin, la focale n'est rien sans l'utilisateur, qui la prend pour outil afin de nous transmettre ce qu'il voit ou qu'il rêve, qu'il ressent ou qu'il vit.
Et quand le visiteur, entrant dans un salon, de beaux-arts annoncés, admire le cliché d'un soleil au couchant, apprécie le sourire d'un portrait juvénile, ou lève le sourcil devant un noir et blanc qui éclipse le tout, il ne peut plus douter que les oeuvres ainsi faites sont autant d'expressions libres de toute chaînes.
Même si pour cela, l'artiste géniteur, comme tous ses confrères, dut les imaginer...sur un rectangle blanc...
Illustration : Photo retenue pour accompagner une citation de Jean Zay, exposée à la Médiathèque d'Ingré à partir de novembre 2017.

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